« Camauro, Benoit ! »

Philippe Loiseau, Conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger demande aux élus cumulards de s’inspirer de la sage décision du Pape Benoît XVI.
MaB

« Camauro, Benoit ! »

Quelle surprise, quel miracle ! Voilà que je m’absente quelques jours et le pape, qui ne fut pas nonce, annonce qu’il renonce. Au départ lundi midi je n’en croyais pas mon google, tandis qu’happé par un ou deux trains plutôt à l’heure je pensais vite à tout ce bonheur déclenché parmi les Monsignore, les cardinaux putatifs et les fidèles en prière.

Bien entendu, sans téléphone mobile, aucun tweet papal à l’horizon, aucune bulle informatique, aucune indulgence cathodique à vendre pour le salut de l’ancien préfet de la désopilante Congrégation de la Doctrine de la Foi, ce réseau ecclésial assez confidentiel. Une certaine hébétude m’envahit suite à cette décision inédite à notre époque. Touché par cette grâce, la béatitude me gagne sur la conversion tardive au pragmatisme du théologien exigeant Ratzinger. Comment en effet comprendre la décision de ce pontifex maximus qui passait pour un conservateur invétéré de l’orthodoxie du dogme apostolique?

L’infaillibilité réclamée à cor et à cri par des générations de premiers serviteurs de l’Église de Rome est-elle donc désormais une relique à mettre en châsse ? Être pape… jusqu’à ce que mort s’en suive était l’ultime condamnation, la dura lex. L’un d’eux renonce en s’appliquant le droit, cela est canon !

Et cela inspire quelques réflexions sur les limites humaines, sur les risques de l’exercice du pouvoir. Camauro, Benoit ! Oui, chapeau pour cette autolimitation de mandat. Après une belle carrière dans les ordres sans un faux pli, c’est le repli dans l’ordre. La décision est prise pour des raisons de santé, elle est très respectable, même louable, elle ramène le souverain au niveau du pèlerin et nous épargnera les spectacles d’agonie morbides retransmis en direct de la place Saint-Pierre tandis que les cierges vacillent. Une analogie? Si nos cumulards français, tous sains de corps et d’esprit, pouvaient songer à s’en inspirer, ils gagneraient le paradis sans doute, mais ils craignent pour leur santé mentale ultérieure, arguant faussement pour leurs ouailles orphelines. Péché d’orgueil !

Reste que l’Église catholique maitrise le calendrier et la mise en scène. Mais que Sa Sainteté bavaroise fasse ce coup là aux Allemands en plein carnaval, il fallait oser. Hosanna ! Élection ou renonciation, inutile d’être croyant, pratiquant ou dévot pour succomber à la pompe grandiose des liturgies du Holly(-wood)Office, à la splendide paramentique de tous ses représentants arborant tiares, frocs, chasubles violettes ou pourpres et autres manipules, aux oscillations des fines dentelles sous la brise de l’Aventin… On est loin de l’humilité du denier du culte pour nos pauvres curés qui n’ont pas eu la chance de devenir prêtres-ouvriers ou de bénéficier du concordat. Oui, ces fastes lumineux et surannés placent les grands-messes plus près du Box-office et de la chambre forte du Château Saint-Ange que des âmes réformatrices de nos paroisses.

Qui marchera demain dans les souliers de Saint-Pierre ? Qui dormira dans les caves du Vatican ? Visiblement l’heureux élu du conclave pourrait se voir contraint par quelque camerlingue d’appliquer la nouvelle jurisprudence de Benoit seizième du nom, suggérée récemment à l’écran par Nanni Moretti : le serviteur de Dieu doit garder les pieds sur terre, il n’y a pas que la foi qui sauve, habemus ou pas.

Philippe Loiseau 12.02.2013

 

50 ans d’amitié franco-allemande: L’unanimisme des congratulations s’imposera-t-il sur les différences inattendues ?

Le 22 janvier 2013 marque le point d’orgue de la commémoration du cinquantenaire du Traité de l’Élysée, signé le 22 janvier 1963, constituant le fondement de la coopération franco-allemande.
Après les célébrations du 8 juillet 2012 à Reims pour le 50 e anniversaire de la réconciliation franco-allemande, du 5 septembre 2012 à Bonn pour le cinquantenaire de la rencontre entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, du 22 septembre 2012 à Ludwigsburg pour le cinquantenaire du discours de Charles de Gaulle à la jeunesse allemande et l’inauguration de l’Année franco-allemande, et avant le 50e anniversaire de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) et la cérémonie de clôture de l’Année franco-allemande le 5 juillet 2013 à Paris, se déroulera le 22 janvier à Berlin la commémoration solennelle avec les Parlements, les hauts responsables de l’État et le Conseil des ministres du cinquantenaire.
À cette occasion, Philippe Loiseau, Conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger, nous rappelle que ces noces d’or ne peuvent cacher les fissures qui continuent à strier les boiseries dorées du plafond du couple mixte et, qu’éventuellement, un petit travail de rénovation au-delà du ravalement de façade ne saurait faire de mal aux deux républiques et à leur relation.

Malik Berkati

50 ans d’amitié franco-allemande : L’unanimisme des congratulations s’imposera-t-il sur les différences inattendues ?

Si les commémorations font partie de nos rituels politiques et sociaux elles cachent trop souvent le quotidien des contradictions et des malentendus, pour reprendre le titre de l’ouvrage dirigé par Jacques Leenhardt et Robert Picht (Au jardin des malentendus, le commerce franco-allemand des idées, Babel, oct.1997). Ces malentendus franco-allemands risquent par leur caractère de jeter une ombre sur nos perceptions communes, sur nos vécus, de mettre la sincérité de l’amitié à l’épreuve. Il faut donc leur porter attention car la relation amicale franco-allemande a besoin d’être comprise et acceptée dans sa globalité, elle doit faire face à ses désaccords constatés plutôt que de laisser le champ libre aux non-dits. Nos dirigeants en ont-ils déjà été capables ?

Chacun a à l’esprit les clichés encore véhiculés aujourd’hui : l’Allemand, travailleur et discipliné, un peu tristounet, le Français, décontracté, accommodant et quelque peu imbu de sa personne… Qui y voit le portrait en gloire de la chancelière ou du président de la République se prend les pieds dans le tapis (rouge). Près des tapis rouges justement, arrêtons-nous. Ils vont être déroulés tout prochainement. D’après quelques observations contradictoires – de portée symbolique – je l’assume, France et Allemagne nous livrent un bien déconcertant message visuel.

Rouge et or. Quand on évoque les ors de la république, on sait tout de suite de quel pays on parle. Un beau film vient d’ailleurs de donner une interprétation succulente aux saveurs du palais. Imagine-t-on filmer avec tant de poésie les cuisines de Madame Merkel ? Non, aucun réalisateur ne s’y est risqué, le stéréotype a la vie dure. Par contre, un chancelier a déjà écrit un livre de cuisine. François Mitterrand aurait-il manqué une occasion de nous régaler ? En fait, les ors de la république étincellent pour mieux laisser vivre leurs secrets et même peut-être les plus inavouables. Pas toujours adaptés à l’épure de la modernité, ils focalisent l’attention pour normaliser le contenu en quelque sorte. Et depuis des lustres, dans une ambiance feutrée, les épais tapis absorbent les bruits de couloirs tandis que dans les cours d’honneur, sous les pas, les gravillons crépitent. Les gravillons crépitent, les ors étincellent, c’est une chose entendue. Vive la France !

Côté allemand par contre un premier cliché est mis à mal, celui de la supposée sobriété. En effet, un apparat obligatoire, particulièrement subtil et solennel, existe dans cette république : c’est le cérémonial, inconnu en France, de la prestation de serment des nouveaux ministres, tant au niveau des Länder qu’au niveau fédéral. Prêté publiquement à la tribune du président de l’assemblée parlementaire idoine dans le cadre d’une cérémonie assez ostentatoire, avec en option une mention religieuse, ce serment en dit long sur les prudences constitutionnelles, sur le respect de l’éthique et de l’histoire. Mais est-ce une garantie contre l’incompétence et la corruption ? On ne badine visiblement pas avec la mise en scène en Allemagne. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?

Autre signe distinctif et surprenant de solennité des nouvelles équipes ministérielles en Allemagne : le dress-code fédéral. Il déconcerte. Les ministres pour leur entrée en fonction sont tous et toutes (!) de noir vêtu(e)s. Guindés comme de jeunes diplômés des high-schools, ils reçoivent leur décret de nomination dans un beau parapheur ; de même, la classe politique en son entier commémore pompeusement avec noirceur pour les fameux „Staatsakte“ ou pour la fête nationale. Ce deuil vestimentaire est-il une marque de soumission à l’autorité (Obrigkeit), un gage à l’influence protestante,…? Il rajoute certes de la rigueur mais également de la majesté à la vie politique allemande qui, finalement, se résume souvent à du noir sur un fond gris. Le gris l’emportant, hélas, pour les décors, certes accessoirement fleuris. Sous le menaçant aigle impérial républico-fédéralisé évolue une Allemagne contemporaine et figée dans une architecture de béton décoffré, une Allemagne à vrai dire peu flamboyante, mais ô combien tatillonne sur le protocole. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?

En France, la tenue noire très stricte habillait Harpagon ou les veuves de guerre, elle n’est pas très en vogue sur les escaliers donnant sur la grille du coq. Les gouvernements français ne renoncent aux fantaisies personnelles de la couleur que pour les enterrements, et encore. Il ne s’agirait pas d’être confondu avec un huissier, métier dont la noblesse est bien souvent méprisée par ceux qui les croisent.

Si lors des commémorations du cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, la chancelière, un peu tristounette et le président de la république, un peu accommodant avec les principes, s’en tiennent à maintenir l’unanimisme des apparences ou à flatter des convergences a minima, nul doute que les malentendus franco-allemands ont encore de l’avenir. Qu’ils abordent donc plus franchement leurs désaccords sur la construction européenne ou l’orthodoxie budgétaire, sur les droits sociaux de leurs citoyens ou la place de la culture. Qu’ils aillent de l’avant. Et surtout dès 2013, allégeons le protocole en Allemagne et introduisons la prestation de serment en France. Religion mise à part, il ne faut rien exagérer.

Philippe Loiseau

France – Cumul des mandats : Arrêtons !

par Philippe Loiseau
Conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger

Le cumul de mandats vise les parlementaires français qui exercent conjointement un mandat « exécutif local » tel que président d’un conseil régional, d’un conseil général, maire d’une commune ou président d’une intercommunalité.

Or, si bien entendu personne ne songe à empêcher nos parlementaires d’avoir une expérience politique dans l’exercice de mandats locaux, je pense qu’ils devraient tous s’en tenir à les avoir exercés en y renonçant dès leur élection comme député, député européen ou sénateur.

Pourquoi ? Pour en finir avec cette tradition devenue une dérive antidémocratique qui singularise notre pays.

À quoi sert donc un mandat local ? En général cet apprentissage de la démocratie de proximité correspond aux tâches les plus exaltantes au service de nos concitoyens : Après avoir été conseiller municipal, conseiller général ou régional lui-même, un maire, un président de collectivité territoriale a appris à gérer des budgets importants, du personnel. Il agit concrètement au quotidien. Il est en relation intense avec ses équipes d’élus, avec ce qu’on appelle les forces vives et la société civile, les associations, avec ses administrés et avec les représentants déconcentrés de l’État. Un élu local avec des responsabilités est en réflexion et en action permanentes, principalement du fait des lois de décentralisation. Il a souvent dû quitter son emploi pour exercer son mandat.

Le mandat de parlementaire est, lui, tout aussi lourd mais sur un autre plan, le plan législatif évidemment. Il requiert une attention politique, de la présence au parlement. Le parlementaire représente la nation et il devrait s’y consacrer à plein temps, ce serait plus honorable et plus respectueux pour la nation. Un parlementaire peut très bien, s’il le souhaite, conserver son mandat de conseiller municipal, de conseiller général ou régional. Certains d’entre eux, sans cumul, restent attachés à leur territoire ou à leur ville en y effectuant tout simplement leur travail de parlementaire, en accompagnant les plus jeunes élus, celles ou ceux qui leur auront succédé, dans les visites d’usines, les tournées cantonales ou dans les quartiers. Ils peuvent les soutenir, les faire bénéficier de leur expérience.

En quoi le parlementaire serait-il de facto privé d’attaches démocratiques s’il s’est séparé de ses mandats exécutifs locaux puisqu’il est toujours élu d’un territoire ? Ce territoire est appelé circonscription et compte parfois jusqu’à 150 communes, 10 ou 15 cantons. Il est fréquemment élu sur sa notoriété locale. En quoi le député-maire ou le sénateur-président du conseil général serait-il plus légitime et plus efficace sur le terrain ? Parce qu’il n’aurait pas à partager l’information ? Qu’il ferait questions et réponses… en promettant de se concerter avec lui-même ? Est-ce un modèle très vertueux de démocratie représentative ou participative ?

Quelle logique plus implacable que celle de céder – une fois devenu parlementaire – ses mandats exécutifs locaux, soit au suivant de liste soit en provoquant une élection partielle ? C’est un comportement sain dans une démocratie digne de ce nom.

Que constate-on ? Le cumul de mandats et également le cumul de mandats successifs dans le temps pourrissent nos institutions. Les cumulards, souvent des hommes… et souvent des hommes d’âge mûr d’ailleurs, déclarent entretenir des liens indéfectibles et nécessaires avec le terrain qui les a façonnés, promus puis élus pour des raisons de cohérence et de maintien de leur influence. Au Sénat notamment, le mode de scrutin angoisse les sénateurs. Et si le nouveau candidat n’était pas à la hauteur pour cajoler et convaincre les grands électeurs ? À les en croire, il en irait presque de la survie de l’espèce…

Ces arguments sont indéfendables dans le monde d’aujourd’hui car ils conduisent aux pires travers : absentéisme, prébendes, travail superficiel, conflits d’intérêts, incompréhension culturelle des élus d’Europe (qui travaillent bien, eux, avec un seul mandat), personnalisation à outrance, manque de renouvellement sociologique ou générationnel, confusion des genres… et, pour les proches, la chaise vide.

Pour moi, mais je peux me tromper n’ayant pas cette expertise (j’exerce un seul mandat, depuis trois ans), le cumulard est un grand zappeur qui s’isole dans sa bulle de pouvoir, dans sa voiture de fonction, dans ses parapheurs et ses secrétariats. Dans son cumul, il se déconnecte davantage qu’il ne se ressource.

Comment le maire d’une grande ville ou le président d’une région ou d’un département – de surcroit à l’heure où chacun s’oblige à être continuellement accessible par téléphone mobile – peut-il sérieusement assurer ses charges de travail simultanément avec la fonction de parlementaire qui doit siéger en commissions, suivre tout le processus d’élaboration de la loi, assurer le contrôle du gouvernement. Le conflit d’intérêt menace. Prenons un exemple : Comment un député-maire peut-il, le lundi comme député, participer à des missions parlementaires visant à installer dans la ville dont il est maire un organisme important ou au contraire à travailler à son démantèlement et le mardi céder en tant que maire le terrain pour la construction de l’immeuble qui l’abritera ? Des cas sont connus, des cas plutôt révoltants.

Souvent inavouées parce qu’elles dérangent leurs bénéficiaires, les questions financières incommodent les citoyens. On ne s’enrichit guère en politique, c’est un fait. Mais amasser différentes indemnités même écrêtées est indécent. Certes le parlementaire peut faire profiter le parti dont il est membre de certaines largesses ou graisser la patte à droite et à gauche dans sa circonscription mais cela pourrait se faire sans cumul, d’autres élus pouvant agir de même. Le trésor public gagnerait cependant à ce qu’on interdise le cumul d’indemnités. Les élus concernés voudraient-ils persévérer ?

Et quelle compassion avoir avec ce sénateur-président de conseil général assumé qui se plaint d’être obligé le samedi d’aller couper le ruban de la foire-expo, de passer au tournoi de rugby, à la fête des crêpes, au ban des vendanges et au banquet des anciens alors que son assistant parlementaire lui organise un programme similaire pour le dimanche car le département est grand, encore plus que la circonscription et… sa présence y est indispensable ?

Le cumul est une maladie française, bien de chez nous et ce n’est même pas un produit d’export, dommage pour notre balance commerciale !

Faut-il rappeler à ces professionnels de la politique, ceux pour qui elle semble devenue un « métier », que personne n’est propriétaire de ses voix, qu’on n’est pas élu pour attendre la retraite ! Ah, oui c’est vrai, un parlementaire peut perdre son mandat, son retour dans la vie « active » (!) serait donc adouci ou évité s’il pouvait au moins réinvestir son mandat exécutif local, pour le bien commun assurément. La politique a horreur du vide.

Suivre Philippe Loiseau sur Twitter