France – Cumul des mandats : Arrêtons !

par Philippe Loiseau
Conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger

Le cumul de mandats vise les parlementaires français qui exercent conjointement un mandat « exécutif local » tel que président d’un conseil régional, d’un conseil général, maire d’une commune ou président d’une intercommunalité.

Or, si bien entendu personne ne songe à empêcher nos parlementaires d’avoir une expérience politique dans l’exercice de mandats locaux, je pense qu’ils devraient tous s’en tenir à les avoir exercés en y renonçant dès leur élection comme député, député européen ou sénateur.

Pourquoi ? Pour en finir avec cette tradition devenue une dérive antidémocratique qui singularise notre pays.

À quoi sert donc un mandat local ? En général cet apprentissage de la démocratie de proximité correspond aux tâches les plus exaltantes au service de nos concitoyens : Après avoir été conseiller municipal, conseiller général ou régional lui-même, un maire, un président de collectivité territoriale a appris à gérer des budgets importants, du personnel. Il agit concrètement au quotidien. Il est en relation intense avec ses équipes d’élus, avec ce qu’on appelle les forces vives et la société civile, les associations, avec ses administrés et avec les représentants déconcentrés de l’État. Un élu local avec des responsabilités est en réflexion et en action permanentes, principalement du fait des lois de décentralisation. Il a souvent dû quitter son emploi pour exercer son mandat.

Le mandat de parlementaire est, lui, tout aussi lourd mais sur un autre plan, le plan législatif évidemment. Il requiert une attention politique, de la présence au parlement. Le parlementaire représente la nation et il devrait s’y consacrer à plein temps, ce serait plus honorable et plus respectueux pour la nation. Un parlementaire peut très bien, s’il le souhaite, conserver son mandat de conseiller municipal, de conseiller général ou régional. Certains d’entre eux, sans cumul, restent attachés à leur territoire ou à leur ville en y effectuant tout simplement leur travail de parlementaire, en accompagnant les plus jeunes élus, celles ou ceux qui leur auront succédé, dans les visites d’usines, les tournées cantonales ou dans les quartiers. Ils peuvent les soutenir, les faire bénéficier de leur expérience.

En quoi le parlementaire serait-il de facto privé d’attaches démocratiques s’il s’est séparé de ses mandats exécutifs locaux puisqu’il est toujours élu d’un territoire ? Ce territoire est appelé circonscription et compte parfois jusqu’à 150 communes, 10 ou 15 cantons. Il est fréquemment élu sur sa notoriété locale. En quoi le député-maire ou le sénateur-président du conseil général serait-il plus légitime et plus efficace sur le terrain ? Parce qu’il n’aurait pas à partager l’information ? Qu’il ferait questions et réponses… en promettant de se concerter avec lui-même ? Est-ce un modèle très vertueux de démocratie représentative ou participative ?

Quelle logique plus implacable que celle de céder – une fois devenu parlementaire – ses mandats exécutifs locaux, soit au suivant de liste soit en provoquant une élection partielle ? C’est un comportement sain dans une démocratie digne de ce nom.

Que constate-on ? Le cumul de mandats et également le cumul de mandats successifs dans le temps pourrissent nos institutions. Les cumulards, souvent des hommes… et souvent des hommes d’âge mûr d’ailleurs, déclarent entretenir des liens indéfectibles et nécessaires avec le terrain qui les a façonnés, promus puis élus pour des raisons de cohérence et de maintien de leur influence. Au Sénat notamment, le mode de scrutin angoisse les sénateurs. Et si le nouveau candidat n’était pas à la hauteur pour cajoler et convaincre les grands électeurs ? À les en croire, il en irait presque de la survie de l’espèce…

Ces arguments sont indéfendables dans le monde d’aujourd’hui car ils conduisent aux pires travers : absentéisme, prébendes, travail superficiel, conflits d’intérêts, incompréhension culturelle des élus d’Europe (qui travaillent bien, eux, avec un seul mandat), personnalisation à outrance, manque de renouvellement sociologique ou générationnel, confusion des genres… et, pour les proches, la chaise vide.

Pour moi, mais je peux me tromper n’ayant pas cette expertise (j’exerce un seul mandat, depuis trois ans), le cumulard est un grand zappeur qui s’isole dans sa bulle de pouvoir, dans sa voiture de fonction, dans ses parapheurs et ses secrétariats. Dans son cumul, il se déconnecte davantage qu’il ne se ressource.

Comment le maire d’une grande ville ou le président d’une région ou d’un département – de surcroit à l’heure où chacun s’oblige à être continuellement accessible par téléphone mobile – peut-il sérieusement assurer ses charges de travail simultanément avec la fonction de parlementaire qui doit siéger en commissions, suivre tout le processus d’élaboration de la loi, assurer le contrôle du gouvernement. Le conflit d’intérêt menace. Prenons un exemple : Comment un député-maire peut-il, le lundi comme député, participer à des missions parlementaires visant à installer dans la ville dont il est maire un organisme important ou au contraire à travailler à son démantèlement et le mardi céder en tant que maire le terrain pour la construction de l’immeuble qui l’abritera ? Des cas sont connus, des cas plutôt révoltants.

Souvent inavouées parce qu’elles dérangent leurs bénéficiaires, les questions financières incommodent les citoyens. On ne s’enrichit guère en politique, c’est un fait. Mais amasser différentes indemnités même écrêtées est indécent. Certes le parlementaire peut faire profiter le parti dont il est membre de certaines largesses ou graisser la patte à droite et à gauche dans sa circonscription mais cela pourrait se faire sans cumul, d’autres élus pouvant agir de même. Le trésor public gagnerait cependant à ce qu’on interdise le cumul d’indemnités. Les élus concernés voudraient-ils persévérer ?

Et quelle compassion avoir avec ce sénateur-président de conseil général assumé qui se plaint d’être obligé le samedi d’aller couper le ruban de la foire-expo, de passer au tournoi de rugby, à la fête des crêpes, au ban des vendanges et au banquet des anciens alors que son assistant parlementaire lui organise un programme similaire pour le dimanche car le département est grand, encore plus que la circonscription et… sa présence y est indispensable ?

Le cumul est une maladie française, bien de chez nous et ce n’est même pas un produit d’export, dommage pour notre balance commerciale !

Faut-il rappeler à ces professionnels de la politique, ceux pour qui elle semble devenue un « métier », que personne n’est propriétaire de ses voix, qu’on n’est pas élu pour attendre la retraite ! Ah, oui c’est vrai, un parlementaire peut perdre son mandat, son retour dans la vie « active » (!) serait donc adouci ou évité s’il pouvait au moins réinvestir son mandat exécutif local, pour le bien commun assurément. La politique a horreur du vide.

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