50 ans d’amitié franco-allemande: L’unanimisme des congratulations s’imposera-t-il sur les différences inattendues ?

Le 22 janvier 2013 marque le point d’orgue de la commémoration du cinquantenaire du Traité de l’Élysée, signé le 22 janvier 1963, constituant le fondement de la coopération franco-allemande.
Après les célébrations du 8 juillet 2012 à Reims pour le 50 e anniversaire de la réconciliation franco-allemande, du 5 septembre 2012 à Bonn pour le cinquantenaire de la rencontre entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, du 22 septembre 2012 à Ludwigsburg pour le cinquantenaire du discours de Charles de Gaulle à la jeunesse allemande et l’inauguration de l’Année franco-allemande, et avant le 50e anniversaire de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) et la cérémonie de clôture de l’Année franco-allemande le 5 juillet 2013 à Paris, se déroulera le 22 janvier à Berlin la commémoration solennelle avec les Parlements, les hauts responsables de l’État et le Conseil des ministres du cinquantenaire.
À cette occasion, Philippe Loiseau, Conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’Étranger, nous rappelle que ces noces d’or ne peuvent cacher les fissures qui continuent à strier les boiseries dorées du plafond du couple mixte et, qu’éventuellement, un petit travail de rénovation au-delà du ravalement de façade ne saurait faire de mal aux deux républiques et à leur relation.

Malik Berkati

50 ans d’amitié franco-allemande : L’unanimisme des congratulations s’imposera-t-il sur les différences inattendues ?

Si les commémorations font partie de nos rituels politiques et sociaux elles cachent trop souvent le quotidien des contradictions et des malentendus, pour reprendre le titre de l’ouvrage dirigé par Jacques Leenhardt et Robert Picht (Au jardin des malentendus, le commerce franco-allemand des idées, Babel, oct.1997). Ces malentendus franco-allemands risquent par leur caractère de jeter une ombre sur nos perceptions communes, sur nos vécus, de mettre la sincérité de l’amitié à l’épreuve. Il faut donc leur porter attention car la relation amicale franco-allemande a besoin d’être comprise et acceptée dans sa globalité, elle doit faire face à ses désaccords constatés plutôt que de laisser le champ libre aux non-dits. Nos dirigeants en ont-ils déjà été capables ?

Chacun a à l’esprit les clichés encore véhiculés aujourd’hui : l’Allemand, travailleur et discipliné, un peu tristounet, le Français, décontracté, accommodant et quelque peu imbu de sa personne… Qui y voit le portrait en gloire de la chancelière ou du président de la République se prend les pieds dans le tapis (rouge). Près des tapis rouges justement, arrêtons-nous. Ils vont être déroulés tout prochainement. D’après quelques observations contradictoires – de portée symbolique – je l’assume, France et Allemagne nous livrent un bien déconcertant message visuel.

Rouge et or. Quand on évoque les ors de la république, on sait tout de suite de quel pays on parle. Un beau film vient d’ailleurs de donner une interprétation succulente aux saveurs du palais. Imagine-t-on filmer avec tant de poésie les cuisines de Madame Merkel ? Non, aucun réalisateur ne s’y est risqué, le stéréotype a la vie dure. Par contre, un chancelier a déjà écrit un livre de cuisine. François Mitterrand aurait-il manqué une occasion de nous régaler ? En fait, les ors de la république étincellent pour mieux laisser vivre leurs secrets et même peut-être les plus inavouables. Pas toujours adaptés à l’épure de la modernité, ils focalisent l’attention pour normaliser le contenu en quelque sorte. Et depuis des lustres, dans une ambiance feutrée, les épais tapis absorbent les bruits de couloirs tandis que dans les cours d’honneur, sous les pas, les gravillons crépitent. Les gravillons crépitent, les ors étincellent, c’est une chose entendue. Vive la France !

Côté allemand par contre un premier cliché est mis à mal, celui de la supposée sobriété. En effet, un apparat obligatoire, particulièrement subtil et solennel, existe dans cette république : c’est le cérémonial, inconnu en France, de la prestation de serment des nouveaux ministres, tant au niveau des Länder qu’au niveau fédéral. Prêté publiquement à la tribune du président de l’assemblée parlementaire idoine dans le cadre d’une cérémonie assez ostentatoire, avec en option une mention religieuse, ce serment en dit long sur les prudences constitutionnelles, sur le respect de l’éthique et de l’histoire. Mais est-ce une garantie contre l’incompétence et la corruption ? On ne badine visiblement pas avec la mise en scène en Allemagne. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?

Autre signe distinctif et surprenant de solennité des nouvelles équipes ministérielles en Allemagne : le dress-code fédéral. Il déconcerte. Les ministres pour leur entrée en fonction sont tous et toutes (!) de noir vêtu(e)s. Guindés comme de jeunes diplômés des high-schools, ils reçoivent leur décret de nomination dans un beau parapheur ; de même, la classe politique en son entier commémore pompeusement avec noirceur pour les fameux „Staatsakte“ ou pour la fête nationale. Ce deuil vestimentaire est-il une marque de soumission à l’autorité (Obrigkeit), un gage à l’influence protestante,…? Il rajoute certes de la rigueur mais également de la majesté à la vie politique allemande qui, finalement, se résume souvent à du noir sur un fond gris. Le gris l’emportant, hélas, pour les décors, certes accessoirement fleuris. Sous le menaçant aigle impérial républico-fédéralisé évolue une Allemagne contemporaine et figée dans une architecture de béton décoffré, une Allemagne à vrai dire peu flamboyante, mais ô combien tatillonne sur le protocole. Qui l’eût-dit de ce beau pays ?

En France, la tenue noire très stricte habillait Harpagon ou les veuves de guerre, elle n’est pas très en vogue sur les escaliers donnant sur la grille du coq. Les gouvernements français ne renoncent aux fantaisies personnelles de la couleur que pour les enterrements, et encore. Il ne s’agirait pas d’être confondu avec un huissier, métier dont la noblesse est bien souvent méprisée par ceux qui les croisent.

Si lors des commémorations du cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée, la chancelière, un peu tristounette et le président de la république, un peu accommodant avec les principes, s’en tiennent à maintenir l’unanimisme des apparences ou à flatter des convergences a minima, nul doute que les malentendus franco-allemands ont encore de l’avenir. Qu’ils abordent donc plus franchement leurs désaccords sur la construction européenne ou l’orthodoxie budgétaire, sur les droits sociaux de leurs citoyens ou la place de la culture. Qu’ils aillent de l’avant. Et surtout dès 2013, allégeons le protocole en Allemagne et introduisons la prestation de serment en France. Religion mise à part, il ne faut rien exagérer.

Philippe Loiseau

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