Joël Coché

Interviews croisées: Joël Coché par Malik Berkati

Malik: Le rejet de l’activité sportive est chez toi élevé en art. Et pourtant tu ne peux pas rester assis, être debout et avancer est ton leitmotiv… Est-ce une façon d’améliorer ta capacité cardio par l’esprit ?

Oh que si j’avance beaucoup plus quand je suis assis ou allongé plutôt que je ne le ferais en  allant perdre mon temps et mon énergie à me faire suer dans une salle de sport ou en arpentant le bitume en quête de l’inutile. J’estime être bien plus un marathonien de l’esprit et du jeu social. Être Debout est la métaphore de l’homme qui ne renonce jamais, qui n’attends rien, ne se plie pas, ne se soumet pas, possède une pensée agile, ouverte et en mouvement. Je n’ai, de fait, pas une condition physique optimale mais une condition mentale en acier inox avec ses fragilités évidentes. C’est aussi un atavisme le non-sport dans toute ma famille. J’ai pratiqué le football pendant pas mal d’années toutefois mais l’entraînement m’ennuyait seul le jeu m’intéressait. J’ai été dilettante très tôt au sens littéral bien entendu.

Tu engages inlassablement ta parole politico-poétique sur la place publique, quand il est nécessaire tu t’engages tout entier dans la campagne électorale du moment, mais tu ne t’engages pas dans la politique. Pourquoi ?

 J’entends ce que tu me dis dans le sens restreint communément admis Politikè qui se réfère à la pratique du pouvoir. Je n’aime pas l’exercice du Pouvoir, ce n’est pas pour moi, mais j’aime sa conquête. En réalité je suis engagé corps et âme dans  la politique en permanence mais je ne m’engage jamais en tant que militant, membre d’un parti ou même comme simple citoyen qui se présenterait à une élection. La démocratie n’est pas pour moi l’élection, je ne m’étends pas,  elle doit être un exercice quotidien comme la pratique d’un sport (tiens le revoilà) de combat.
En revanche je soumets mes points de vue aux candidats de mon choix et je les soutiens. Et je ne les lâche pas ensuite je veux qu’on me rende des comptes, qu’on m’explique et argumente et je suis tenace. J’aime les périodes de campagne. Ainsi je ne m’exclus jamais du jeu (le jeu est un leitmotiv).
Exercer un mandat c’est se livrer à des simulacres sociaux, une perte de liberté, des devoirs indigestes de représentation, de commémoration, le nécessaire usage de faux semblants, des réunions et des commissions qui aliènent la quotité de temps disponible. Jamais je ne pourrais.
Le jésuitisme me dérange aussi mais sommes-nous prêts à tout entendre ? Je ne le crois pas.
Aristote évoque la Politique comme la science suprême à travers laquelle l’homme se réalise pleinement par la pensée et par l’action et qui a pour fonction de rendre l’homme qui la pratique parfaitement heureux. Mais son rôle serait surtout d’amener les autres hommes à tendre vers ce but proprement humain.
Ainsi je pense qu’il faut des passeurs, des intercesseurs  qui rappellent sans cesse cette antienne et agissent dans ce sens et je trouve ça très plaisant. Il ne s’agit pas de persuader mais d’inspirer, mettre en mouvement le ‘penser’ entre la classe politique et la société civile. C’est un peu Don Quichottesque certes, je rêve de la multiplication des Don Quichotte. Il faut aussi rêver et danser sa vie non ?
Je suis «citationniste» aussi et j’essaie de ramener l’art à la vie pour revenir au début de la question. J’aime à citer  Picasso qui disait : «Il faut réveiller les gens. Bouleverser leur façon d’identifier les choses. Il faudrait créer des images inacceptables. Que les gens écument. Les forcer à comprendre qu’ils vivent dans un drôle de monde. Un monde pas rassurant. Un monde pas comme ils croient».
Ou encore Guy Debord, Panégyrique : «Les citations sont utiles dans les périodes d’ignorance ou de croyances obscurantistes».

Ta devise, à laquelle je ne souscris pas : «l’individu a raison sur la masse». Qu’entends-tu par là ?

Question courte mais qui m’oblige à réfléchir beaucoup pour tenter d’expliciter ce point de vue.
D’abord cher Malik ce n’est pas ma devise même si j’use volontiers de la formule «l’homme seul (ou l’individu) a raison contre la masse». Je dis  plus souvent «il faut choisir, se reposer ou être libre» de Thucydide. Et je peux également changer d’avis comme de devise. Tu connais aussi mon sens inné de la douce provocation et de l’ironie caustique (il faudra en parler).
Ce n’est pas mettre en cause la démocratie que cette assertion. Je me méfie des notions d’intérêt général, de la versatilité de l’opinion publique, du radicalisme outrancier, des structures figées et de la manipulation des mentalités.
L’individualisme n’est pas l’isolement d’ailleurs, apparent paradoxe, je n’arrête pas de créer ou de participer à nombre d’associations. La grande idée d’Ibsen est que «l’homme le plus fort est l’homme le plus seul» . Il s’agit de l’homme conscient de son unicité et ayant acquis une grande autonomie. Et c’est parce qu’il est seul du point de vue de sa morale, et non de la Morale, qu’il est unique (cf Stirner) au lieu d’être une parcelle d’unité, un élément du troupeau, comme le non-individualiste. Toute l’éducation nie l’égoïsme et vante l’altruisme. Dès lors rares sont ceux qui comprennent le sens de l’individualisme et sont voués à l’absorption par les puissants. C’est à cet individualisme libertaire et non autoritaire qu’il faut aboutir. Et c’est justement cette conscience qui fait de cet homme un être d’une très grande sociabilité joyeuse et libre. Et pour cela il n’y a qu’une chose c’est le savoir qui émancipe et qui libère.
Tout ce que je fais à présent est guidé librement par  passion affective avec pour corollaire le plaisir et la satisfaction personnelle. Il ne tient qu’à l’autre qu’il en soit de même pour lui. Il s’agit bien de choix et non d’une une démarche d’altérité sacrificielle, sous la contrainte de la morale, par devoir.
La liberté la force c’est le savoir, la faiblesse, la soumission c’est la croyance.

Nous ne sommes pas d’accord sur tout, bien heureusement, comment avancer autrement ?, mais une des rares choses qui m’ait fait sortir de mes gonds dans une discussion a été celle sur Facebook.  Je n’ai pas compris que tu utilises l’argument, «personnellement cela m’est égal, je n’ai rien à cacher». Penses-tu qu’il est des «évolutions» inéluctables devant lesquelles les citoyens perdraient leur temps à résister?

Étant hyper-réactif je peux être à l’emporte pièce et écrire des phrases insensées aussi. Je revendique le droit de dire des conneries en revanche je n’hésite pas à me déjuger le cas échéant. Ceci dit sans chercher de justification je vais quand même essayer d’argumenter à ce propos.  Assez sottement peut-être j’ai encore assez confiance en l’État est ses institutions donc je n’ai pas de crainte particulière même si j’exhorte en permanence le citoyen à agir en contrepoids. Le recours permanent à la sécurité m’exaspère, il faut quand même risquer un peu sa vie non ? Vivre c’est pour moi se dé-protéger, se dé-masquer bien qu’ayant ma part d’ombre, d’intime et d’indicible, ce que j’appelle la dissimulation honnête. La protection de la vie privée comme la traçabilité sont des débats majeurs et essentiels je le concède.
Hormis la mort on peut penser que rien n’est a priori inéluctable et une évolution c’est un mot qui possède intrinsèquement un sens plutôt positif. Mais l’évolution, l’amélioration le progrès, le développement social et sociétal se sont rarement fait tout seuls. Au contraire les immobilismes, les conservatismes, les passéismes bloquent souvent les processus évolutifs. Et même quand des combats sont gagnés il y a tout le temps des remises en cause, des régressions terribles sous le joug d’obscurantismes ou d’intégrismes moralistes ou religieux.
On doit être en permanence en éveil, en résistance contre les affaissements, les mensonges démocratiques,  les temps de la dépression et du contrôle des esprits. Méfions nous des puretés apparentes, des hygiénismes, du normalisme. Évitons les pièges du système qui sous des dehors policés tente de nos aseptiser toujours un peu plus. Mais ceci est vrai de toute époque on ne garde jamais les leçons de l’Histoire. Les temps ne changent pas, je viens de trouver chez Aragon (Traité du style 1927) le passage suivant : ‘Donc je m’adresse à la jeunesse, mais voyez-moi les jeunes gens, comme ils supportent le train-train du monde. Foireux comme jamais. Ayant trouvé le truc. Ils sont assis très paisiblement aux milieux des machines infernales’ C’est dingue non ?

Tu es un architecte des ponts à construire entre les cultures, les arts, les politiques, les gens… quel est ton «géorama» idéal pour La République des Debouts ?

Effectivement je suis une tête de pont. Quand à une cartographie à vrai dire je n’ai pas fait de projection là-dessus. Cependant pour moi #LRDD (le hashtag pour Twitter) est un incubateur de citoyenneté. Et comme je suis opposé aux élevages surtout intensifs ce qui m’intéresse c’est que de nombreuses personnes s’emparent de la démarche et créent partout des groupes de «guérilla» citoyenne au travers de think tank populaires. Ceux-ci localement construiront leur logique d’essaimage et d’imprégnation culturelle en essayant d’amener un maximum de personnes à réfléchir et à devenir un vrai citoyen. C’est à dire quelqu’un qui ne démissionne pas, qui ne s’accroupit pas, qui n’est pas dupe, qui fuit le sirop sentimental et l’eau de rose, qui s’intéresse à nouveau à la Politique, à la vie de la Cité. Et à la Poésie aussi un peu…
A mon avis il y a un gouffre aujourd’hui entre la classe politique d’élus, les militants, les citoyens éclairés et avertis peut-être 2 à 3% de la population (et encore) et la grande masse dépitée, n’ayant plus confiance, désinvestie, votant de moins en moins.
Je suis persuadé que les changements inévitables, n’attendons-pas, ne peuvent être fertiles que si un maximum de gens s’engagent à nouveau, parlent, débattent, s’amusent, renouent avec du collectif, le sens du bien commun, de la solidarité non caritative. Il faut choisir notre destin et c’est pas triste.
LRDD se veut un accélérateur et un catalyseur d’énergies positives. La France est le pays le plus pessimiste du monde, les gens s’épient, se jalousent, se méfient. Les rues et les nuits sont vides. Seule la festivitation estivale très dense rassemble et relie dans une société de plus en plus du spectacle et aseptisée. La vie politique est devenue un show permanent, l’entertainment est la règle.
Dès lors l’innovation est bridée, le moindre «risque» hétérodoxe  est hérétique et on continue à foncer dans le mur où s’est déjà fracassé le libéralisme.
Bon je digresse (je dis Grèce ?) mais il y a tant de choses intéressantes à dire et à faire et LRDD ne veut pas donner de mots d’ordre ni d’injonctions, surtout pas de dogme. A mon avis il faut quand même un minimum structurer la chose et c’est le sens de l’association que l’on a créée. La confrontation, l’écoute, l’échange et la prise en compte permanente d’un idéal citoyen peuvent construire un renouveau démocratique et une Nouvelle République. Mais ne laissons pas les «experts» auto-déclarés la construire. Les experts de la vie c’est nous. Et je pense qu’une symbolique de la France et de l’Allemagne qui seraient les fers de lance de la renconstruction démocratique est particulièrement pertinente.

Eh les gens c’est à vous de jouer. N’ayez pas peur des coups de dés, si, si ils peuvent abolir le hasard. Je crois à l’intelligence collective.