Vent d’Ouest

Les 30 et 31 août derniers ont eu lieu deux jours de débats et de réflexion organisés par Vent d’Ouest à Lorient avec pour thèmes: « Régionalisation, décentralisation, démocratie locale, réforme de l’Etat… Quelles institutions et quelle Constitution pour une 6e République ? » et « Les crises économiques, sociales et financières en Europe et dans le Monde peuvent-elles remettre en cause la mise en œuvre d’une politique de gauche, ambitieuse, responsable et novatrice en France ? ».
Depuis maintenant six ans, la gauche dans sa diversité, loin de la grand-messe des Universités d’été, se réunit en Bretagne pour des prises de parole libres afin de créer un espace d’échange hors des carcans des partis politiques. Vent d’Ouest, fondé en 2007 par le conseiller régional communiste Daniel Gilles et des élus Bretons suite à l’échec de la gauche à la présidentielle et aux législatives, affichait comme ambition pour ses rencontres de fin d’été «de favoriser le débat à gauche, pour résister à la droite et préparer une alternative politique, en invitant pour leur parcours et leur itinéraire et non pour représenter leur parti des personnalités des différentes sensibilités de gauche des forces sociales et progressistes.»

Nous sommes en 2012, la gauche est pouvoir et la donne différente. Joël Coché s’est rendu à ces deux journées-débats pour nous en rendre compte.

Malik Berkati

Une très légère brise
On nous annonçait force 9, au moins, sur l’échelle de Beaufort, on nous annonçait des cactus et du piquant. Hélas nous avons eu un petit force 2 un vent où même les girouettes peinent à s’orienter.  Les cactées ont brillé par leur absence. De cactée à caqueter il n’y a qu’un pas qui fut allégrement franchi.

Pourtant l’idée et les principes sont bons, rassembler les diverses composantes de la Gauche afin de débattre ensemble autour d’un même table, mais de table il n’y a point, seulement une tribune, et des composantes il en manquait un paquet (querelle entre vrais et faux communistes, pas de Front de Gauche…). La présence des forces de l’ordre fut inutile tant les maigres échanges furent policés.

Un faux-air du changement
J’étais déjà surpris par le thème choisi «le changement sur son erre» l’erre ? L’errance, l’erratique, il s’agit de de la vitesse acquise du bateau quand le moteur n’agit plus, en quelque sorte un bateau livré à lui-même. A vouloir jouer sur les mots : l’air du changement, l’ère du changement il arrive que l’on oublie le sens et malheureusement la formule tombe à plat.

Et paradoxe et choc des cultures, une plénière de l’Université d’été du Medef le même jour s’intitulait «la conquête de l’aire».

Je constate une fois encore que tout ça sent le renfermé, manque d’air, que les idées sont confinées et qu’il convient d’ouvrir très grand les fenêtres de la respiration civique et civile.

Malgré tout ce sont les seuls qui osent essayer de faire quelque chose, ils doivent être encouragés et non vilipendés. Mais ma nature critique franche, directe, dépourvue de tout dogme et de toute idéologie m’oblige à écrire mon sentiment.

Attention que personne ne se méprenne, que les autres organisations ou groupements politiques ne se gaussent pas, ils ne font rien ou si peu dans ce domaine. Alors je dis bravo pour l’initiative.

Le disque est rayé depuis longtemps
Il s’agit de mon ressenti le plus neutre possible n’étant engagé ni militant dans aucune organisation politique quelconque au sens de parti et ne souhaitant pas jouer le subversif. Qu’il soit partagé ou pas  je m’en fiche il est sincère. Il a pour pour but de réveiller l’anorexie de la pensée critique, sortir des simulacres, des évitements, des postures et des stéréotypes. De toute façon tout a été filmé. Alors mon avis est tout a fait opposable. Et en outre j’aimerais bien que les organisateurs ou participants donnent aussi leur point de vue, le pluralisme est nécessaire pour tenter de cerner une petite part de vérité.

Le vif du sujet raconté au présent
Les élus, encore plus les nouveaux élus, sont dans une attitude totalement «corporate», attendue, confits dans leurs certitudes et leurs conventions. Leurs propos sont totalement sérieux, aseptisés, les discours hyper convenus et le soi-disant débat, le fameux débat, un quart d’heure généreusement octroyé, avec la salle est essentiellement corporatiste. On prêche pour sa chapelle, on n’élève pas sa prise de parole au-delà de son champ de compétences.

Et impossible d’intervenir en live, celui qui s’est essayé s’est vu repris et ramené au silence. Il n’y avait aucun désir de dialogue.

D’ailleurs c’est symptomatique, à l’apéro forcément convivial puis au repas en commun, les élus se retrouvent entre eux, les rares citoyens sont ignorés. A table c’est la même chose au lieu de se répartir, non, tous ensemble, tous ensemble.

Nous fûmes quatre dans notre coin à échanger et ce fut très intéressant avec un couple de Mûr de Bretagne qui avait vu l’annonce dans le journal et Andrée de Roscoff, adhérente de Vent d’Ouest, la seule qui soit venue vers moi pour me féliciter et rebondir sur mes propos. Je n’attendais pas d’approbation ni d’acquiescement bien entendu mais je pensais à minima engager un peu le dialogue à partir de mes propos disruptifs.

Je ne jette pas la pierre, ce genre d’attitudes est systématique dans ce type d’assemblée depuis des lustres. Comment s’étonner dès lors de l’échec de la participation, nous étions 50/60 au total dans la salle y compris les élus,militants et invités. Alors que nous devrions être 2000 ai-je clamé si un minimum de conscience politique existait dans ce pays.

Le système et la prégnance partidaire ont étouffés toute velléité citoyenne, nous vivons une époque de citoyenneté épuisée.

Une organisation trop bien huilée
De nombreuses personnalités, élus venus de toute part Chaissaigne d’Auvergne, Brard de Montreuil, De Rugy de Nantes, des ministres annoncés qui ne viendront pas mais qui introduiront les deux débats par une vidéo hyper institutionnelle, Cohn Bendit en arlésienne et tous les nouveaux députés PS…etc sont présents. D’ailleurs c’est une coterie, une amicale, ils sont là tous les ans pour la plupart. Du coup il n’y a eu aucune attaque, très très peu d’allusions, nulles interpellations.

Beaucoup de mots mais aucun langage
Les thèmes retenus pour deux demi-journées étaient beaucoup trop larges. Le premier : Régionalisation, décentralisation, réforme de l’État, démocratie locale…Quelles institutions et quelle constitution pour une 6ème République ? Rien que ça…Chacun y va de son couplet avec quelques perles quand même, je cite celle-là «Plus il y a d’institutions, plus il y a de démocratie»

Comment en si peu de temps ne serait-ce qu’esquisser la moindre piste. Dix minutes chacun, un quart d’heure à la salle et à nouveau dix minutes chacun. Il ne peut en sortir que du vent…

D’autant plus qu’annoncé à 17h la soirée ne commence pas avant 17h45 pour se terminer effectivement à 20h.

Second thème : Les crises économiques, sociales et financières en Europe et dans le Monde peuvent-elles remettre en cause la mise en œuvre d’une politique de gauche, ambitieuse, responsable et novatrice en France ?

Il n’en sort évidemment rien sinon que des petites défenses de pré-carré mais aucune exégèse sur les crise en elle-même, non, des justifications de postures des uns et des autres.

Il est à remarquer que pas une seule femme n’a été à la tribune et une seule a pris la parole dans la salle.

Le plus décevant ce fut l’expression de la gauche cactus déjà dévoilée dans la presse la veille et sans  la moindre petite épine dérangeante, nul mordant. On est là entre potes on ne va pas s’égratigner quand même.

Et après ?
De toute façon rien n’a été relayé ensuite dans la presse sinon une petite photo de famille, rien non plus ne figure aujourd’hui sur le site, rien non plus en ce qui concerne les années précédentes, d’ailleurs si vous cliquez sur n’importe quelle vidéo d’avant c’est toujours celle de Stéphane Le Foll 2012 qui est lancée.

Pourquoi ça ne marche pas ? Déjà par capitulation totale en rase campagne du citoyen. Les élus se retrouvent seuls avec quelques militants et proches, ils ne sont interpellés sur rien ni par personne. Ils sont bien obligés d’occuper le vide.

Les positions tribunitiennes et professorales ne sont pas du tout adaptées à un débat. D’ailleurs on a assisté à une litanie successive de discours.

Le public est à la portion hyper congrue. Ceux qui prennent la parole ont déjà leurs questions préparées relatives à leurs domaines de compétence et pas du tout en lien avec les thèmes abordés. Il n’y a pas vraiment de réponse ensuite non plus puisque c’est hors sujet.

Bilan
Très franchement à quoi cela a-t-il servi ? Il n’y a jamais d’actes, de pistes de travail, de réflexion entre les rendez-vous annuels. Les nouvelles formes de citoyenneté à l’heure du numérique, c’est de l’hébreu. Plusieurs personnes qui étaient présentes le premier jour m’ont dit qu’elles ne sont pas revenues car elles n’y ont trouvé aucun intérêt.

La vie politique citoyenne n’existe plus. Les gens ne veulent plus de littérature militante ni de dogme. Ils ne veulent plus de postures d’abstractions sentencieuses ni de projets soi-disant émancipateurs réduits à la vision de vérités monolithiques. Ils n’en peuvent plus du sérieux, de la componction, de la fausse vertu ostentatoire qui sont les modes de représentation de la sphère politique. Pourquoi ne pas débattre ensemble, mais vraiment, autour des travaux de Michel de Certeau par exemple, ou de ceux de Bruno Latour.

Le changement c’est maintenant ou alors en 2017 je crains l’avènement d’une ultra droite fascisante. On est en train de leur tirer le tapis rouge, ironie du sort, le rouge du drapeau sous les semelles de l’extrémisme. N’attendons plus, il est grand temps d’agir tous ensemble. C’est pas simple mais ce n’est pas triste non plus.

Joël Coché

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