Intégration vs Assimilation

Extrait de « Lettre à François Hollande« , de Georges Beuchard, Philippe Loiseau, Malik Berkati, Pierre-Yves Le Borgn’, Collection La M.E.R., publié à Berlin le 19 mars 2012, © La Mer, tous droits réservés

Contribution de Malik Berkati, pages 47-49

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Une fois le gouvernant dégagé, le combat continue et la pensée doit s’entêter à tendre vers la belle et nécessaire utopie. Il y a un peuple, mais il y a aussi des publics. Cela fait partie de l’ordre des choses : la nature humaine privilégie ses intérêts spécifiques. Le concept de « volonté générale » est extrêmement abstrait et pour reprendre Latour, « oui à la démocratie, mais en chair et en os, pas en illusion ». Ne serait-il pas plus concret, plus réaliste et plus honnête de subordonner la sacro-sainte « volonté générale » au matérialisme poétique du « bien commun » ? Il est certes tout à fait possible de continuer à gouverner en donnant l’illusion que cette gouvernance est réellement représentative du Public alors que les « insiders », dans un entre-soi reproductif, passent le plus clair de leur temps à essayer de flatter leurs publics respectifs en séduisant à la marge le public du voisin, en entretenant le mythe du « creuset républicain » alors que le fonctionnement de la société transforme chaque jour un peu plus le creuset en passoire, où des franges de plus en plus larges de ce collectif fantasmé tombent hors de la protection de la République.

Il serait peut-être temps de parler enfin sérieusement de ces concepts serpents de mer qui font les joies politiques et oratoires de la dite République : intégration, assimilation. En parler sans tabous et avec courage, faire face aux peurs, ne plus ignorer les cicatrices encore ouvertes dans le passé, amener tous les publics du Public à se faire face, non pas en chiens de faïence mais dans le dialogue permettant enfin la rencontre qui amène à la reconnaissance de l’autre.
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Reprenons donc les choses à l’aune de la réalité sociétale française.

Le terme le plus usité dans le discours politique et médiatique est celui d’intégration. Plus précisément, sous l’angle de son défaut, du problème qu’il occasionne. Parfois, lorsqu’un intérêt est en jeu, qu’un public spécifique doit être interpellé, un exemple positif, une success story, est montrée en exemple. Des élèves brillants des « quartiers difficiles » intégrés à Science Po, un jeune entrepreneur qui réussit dans une banlieue, un préfet « musulman », etc. Mais est-il réellement question d’intégration en France ? Le problème ne vient-il pas plutôt de cette confusion de ces deux termes, intégration et assimilation, confusion entretenue par cette impossibilité sémantique pétrifiée dans un passé colonial mal instruit qui empêche d’appeler un chat un chat, malgré l’évidence par ailleurs désignée dans le fameux « creuset républicain » : la société française ne veut idéalement pas intégrer les allochtones, elle veut les assimiler. Cette confusion mène à des cascades de malentendus, d’amalgames et d’absurdités de part et d’autre.

Absurde de parler d’intégration à un citoyen français dont les ascendants sont Français depuis deux, trois générations. Absurde de parler d’intégration à un citoyen français originaire d’un département ou territoire d’outre-mer. Absurde de parler d’intégration à un immigré vivant depuis vingt ans dans sa commune mais ne pouvant voter quand, dans le même temps, un migrant européen installé depuis six mois sur sa commune peut lui participer à la vie démocratique de son environnement quotidien.

Le problème de l’intégration dans sa compréhension commune est qu’il manque un élément essentiel à sa définition : l’intégration n’est pas unilatérale. Pour intégrer un corps à un ensemble, il faut que cet ensemble s’ouvre au corps. Si la France veut intégrer, elle doit elle aussi intégrer le fait qu’elle doit s’ouvrir et laisser un espace permettant l’intégration. On pourrait même aller plus loin : l’intégration doit être réciproque. Il y a d’ailleurs un exemple de processus d’intégration, plus ou moins réussi, dont on entend parler tous les jours, qui inclut cette donnée de réciprocité dans le processus et l’effort : l’intégration européenne. Pourquoi ne pas accorder aux individus ce que l’on accorde aux États ? Les nations s’en porteraient certainement mieux…

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