Un monde sous corpo

Suite à des échanges avec Anne-Christine Loranger et @nessyduloch, nous avons pensé à proposer quelques films documentaires et de fiction qui permettent de mieux cerner le lien entre dégradation de l’environnement, dégradation des sociétés et prise en main du monde par les corporations.
Tout comme la littérature sur le sujet, l’éventail des films est très large. Tout comme dans les articles - qu’ils soient scientifiques ou d’information, il ne faut pas chercher dans ces films, surtout pas dans les documentaires, un point de vue « neutre » et « objectif ». Cela n’existe pas! Par contre, ils sont très intéressants à regarder, à recouper, à analyser pour se faire une idée un peu moins floue du « monde sous corpo » dans lequel on vit. Le flou, c’est justement ce qui fait la puissance de Monsanto, Goldman Sachs ou Exxon pour ne citer que ceux-ci. Il s’agit donc d’ouvrir les yeux.

Anne-Christine Loranger et moi-même sommes (aussi) critiques de cinéma. Cependant, nous ne voulons pas être les seuls à parler de ces films, c’est pourquoi nous ne mettons qu’un lien chacun sur une de nos critiques et attendons avec impatience les vôtres pour en débattre, ainsi que des suggestions de films à voir.

Malik Berkati

Documentaires:
L’encerclement – la démocratie dans les rets du néolibéralisme de Richard Brouillette – critique de Malik Berkati dans Le Courrier (Suisse) 
The Corporation de Jennifer Abbott et Mark Achbar
Supersize Me de Morgan Spurlock
Les Yes Men refont le monde de Andy Bichlbaum, Mike Bonanno, Kurt Engfehr
Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau
Le monde selon monsanto de Marie-Monique Robin
Goldman Sachs – les nouveaux maîtres du monde de Jean-Luc Léon et Sylvie Faguer
Le mystère de la disparition des abeilles de Mark Daniels
La guerre des sémences de Marie-Monique Robin
Kivalina v. Exxon: le procès le plus dangereux de l’histoire de Ben Addelman
Ce n’est qu’un début de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier
Herbe de Matthieu Levain et Olivier Porte
Severn – la voix de nos enfants de Jean-Paul Jaud
Nos enfants nous accuseront de Jean-Paul Jaud
Homo Toxicus de Carole Poliquin

Fictions:
Margin Call de J. C. Chandor – critique de Anne-Christine Loranger dans Séquences (Québec) 
Blood Diamond de Edward Zwick
Even the rain (También la lluvia) de Icíar Bollaín
La belle Verte de Coline Serreau

Entre docu et fiction: Indignados de Tony Gatlif

Intégration vs Assimilation

Extrait de « Lettre à François Hollande« , de Georges Beuchard, Philippe Loiseau, Malik Berkati, Pierre-Yves Le Borgn’, Collection La M.E.R., publié à Berlin le 19 mars 2012, © La Mer, tous droits réservés

Contribution de Malik Berkati, pages 47-49

(…)

Une fois le gouvernant dégagé, le combat continue et la pensée doit s’entêter à tendre vers la belle et nécessaire utopie. Il y a un peuple, mais il y a aussi des publics. Cela fait partie de l’ordre des choses : la nature humaine privilégie ses intérêts spécifiques. Le concept de « volonté générale » est extrêmement abstrait et pour reprendre Latour, « oui à la démocratie, mais en chair et en os, pas en illusion ». Ne serait-il pas plus concret, plus réaliste et plus honnête de subordonner la sacro-sainte « volonté générale » au matérialisme poétique du « bien commun » ? Il est certes tout à fait possible de continuer à gouverner en donnant l’illusion que cette gouvernance est réellement représentative du Public alors que les « insiders », dans un entre-soi reproductif, passent le plus clair de leur temps à essayer de flatter leurs publics respectifs en séduisant à la marge le public du voisin, en entretenant le mythe du « creuset républicain » alors que le fonctionnement de la société transforme chaque jour un peu plus le creuset en passoire, où des franges de plus en plus larges de ce collectif fantasmé tombent hors de la protection de la République.

Il serait peut-être temps de parler enfin sérieusement de ces concepts serpents de mer qui font les joies politiques et oratoires de la dite République : intégration, assimilation. En parler sans tabous et avec courage, faire face aux peurs, ne plus ignorer les cicatrices encore ouvertes dans le passé, amener tous les publics du Public à se faire face, non pas en chiens de faïence mais dans le dialogue permettant enfin la rencontre qui amène à la reconnaissance de l’autre.
(…)

Reprenons donc les choses à l’aune de la réalité sociétale française.

Le terme le plus usité dans le discours politique et médiatique est celui d’intégration. Plus précisément, sous l’angle de son défaut, du problème qu’il occasionne. Parfois, lorsqu’un intérêt est en jeu, qu’un public spécifique doit être interpellé, un exemple positif, une success story, est montrée en exemple. Des élèves brillants des « quartiers difficiles » intégrés à Science Po, un jeune entrepreneur qui réussit dans une banlieue, un préfet « musulman », etc. Mais est-il réellement question d’intégration en France ? Le problème ne vient-il pas plutôt de cette confusion de ces deux termes, intégration et assimilation, confusion entretenue par cette impossibilité sémantique pétrifiée dans un passé colonial mal instruit qui empêche d’appeler un chat un chat, malgré l’évidence par ailleurs désignée dans le fameux « creuset républicain » : la société française ne veut idéalement pas intégrer les allochtones, elle veut les assimiler. Cette confusion mène à des cascades de malentendus, d’amalgames et d’absurdités de part et d’autre.

Absurde de parler d’intégration à un citoyen français dont les ascendants sont Français depuis deux, trois générations. Absurde de parler d’intégration à un citoyen français originaire d’un département ou territoire d’outre-mer. Absurde de parler d’intégration à un immigré vivant depuis vingt ans dans sa commune mais ne pouvant voter quand, dans le même temps, un migrant européen installé depuis six mois sur sa commune peut lui participer à la vie démocratique de son environnement quotidien.

Le problème de l’intégration dans sa compréhension commune est qu’il manque un élément essentiel à sa définition : l’intégration n’est pas unilatérale. Pour intégrer un corps à un ensemble, il faut que cet ensemble s’ouvre au corps. Si la France veut intégrer, elle doit elle aussi intégrer le fait qu’elle doit s’ouvrir et laisser un espace permettant l’intégration. On pourrait même aller plus loin : l’intégration doit être réciproque. Il y a d’ailleurs un exemple de processus d’intégration, plus ou moins réussi, dont on entend parler tous les jours, qui inclut cette donnée de réciprocité dans le processus et l’effort : l’intégration européenne. Pourquoi ne pas accorder aux individus ce que l’on accorde aux États ? Les nations s’en porteraient certainement mieux…

(…)

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